Soirée annuelle 2016


Discours de Hugo Stern, Chef du Service de l’enseignement obligatoire de langue française

25 novembre 2016, école d’ingénieurs


Mesdames et Messieurs les invités,
Chères musiciennes, chers musiciens,
Chers amis,

Si j’ai bien saisi les attentes transmises par votre président, il est de coutume que l’invité à cette soirée annuelle fasse des liens entre son activité actuelle et la musique en général, son vécu de concordien en particulier.
Bien sûr, Musique et Education font bon ménage depuis longtemps et les intersections entre ces deux univers passionnants sont aussi nombreuses qu’essentielles. A tel point que Platon s’en était déjà mêlé : « La musique est la partie maîtresse de l’éducation, car le rythme et l’harmonie sont particulièrement propres à pénétrer l’âme » disait-il.
Oui, la musique est un langage universel, la langue des émotions, capable de nous surprendre au moment le plus inattendu, de nous toucher au plus profond de notre être, de trouver subtilement le chemin de nos cachettes les plus enfouies et secrètes, capable encore de nous saisir tout entier avec une force irrésistible.
Comme la Musique ne se résumera jamais à traverser des œuvres, même si c’est parfaitement réalisé, mais à nous élever, nous faire grandir de l’intérieur, à exprimer ce qui se trouve entre les lignes, au-delà des notes, ce que les mots et les images ne parviendront jamais à restituer … De même, l’Education, au sens large, ne consiste pas à absoudre des plans d’études et des moyens d’enseignement mais bien à accompagner, à construire patiemment les hommes et les femmes de demain en les aidant à développer ce qu’ils ont en eux, ce qu’ils sont et les amener au mieux de leurs potentialités.
Il y a une multitude de choses extraordinaires qui ont été ou qui sont encore dites et écrites au sujet des rapports entre Musique et Education par des personnes aux compétences et à la sagesse immenses. Je vais donc essayer de faire preuve, moi aussi, d’un peu de sagesse et d’humilité en m’arrêtant là avec cet exercice que bien d’autres ont réalisé avec un vrai talent et une réelle inspiration.
Je vais plutôt vous parler, plus simplement, de ce qui me relie à votre société à travers quelques images et anecdotes. Au-delà d’une certaine légèreté des propos qui vont suivre, vous lirez peut-être mon attachement à La Concordia et à ce qu’elle représente, ma fierté d’en avoir fait partie et la chance que cela a constitué dans mon parcours de vie.

Mon premier souvenir en lien avec La Concordia remonte à la fin des années 80-début des années 90, lorsque que j’étais élève de l’Ecole normale. Notre professeur de musique, un certain Eric Conus, nous proposait – enfin… nous proposait… – nous distribuait plutôt le dernier CD enregistré avec votre ensemble. Il faisait alors le tour de la classe, un carton sous le bras, et déposait un CD sur chaque pupitre. Il fallait un grand courage aux quelques téméraires qui ne souhaitaient pas retourner chez eux en possession de cet enregistrement ! Enregistrement témoin d’une époque, si on l’écoute avec nos oreilles d’aujourd’hui, et qui permet de mesurer le chemin parcouru et l’évolution de votre harmonie en termes, notamment, d’équilibre des registres, de sonorité d’ensemble ou encore de répertoire. Le charisme et les compétences de notre professeur nous faisaient oublier bien vite sa technique de ventre ultra efficace, bien que relativement peu démocratique, dont il avait le secret et qu’à lui seul nous pouvions pardonner.
C’est peu de temps après ce premier épisode que j’ai eu le bonheur d’assister, pour la première fois à un concert de La Concordia à l’aula de l’Université. Entre la puissance, la rutilance, la maîtrise, l’enthousiasme de l’ensemble et du chef, les couleurs, la solennité du moment, le répertoire exigeant et flamboyant, les qualités des solistes et l’atmosphère générale qui se dégageait de ce tout… le musicien débutant que j’étais, qui faisait ses premières gammes dans la fanfare de son village, a été fortement et durablement impressionné. Et lorsque, quelques années plus tard, Luc et Jean-Claude m’ont contacté pour connaître mon intérêt à reprendre la direction des cadets tout en devenant assistant à la société mère, je me suis lancé dans ce défi avec beaucoup de reconnaissance, de joie, une certaine fierté et une pointe d’appréhension…
C’est peut-être cette appréhension teintée , il est vrai, de beaucoup de distraction (la tête dans les étoiles !), qui m’a fait emboutir un véhicule pourtant sagement arrêté aux feux de St-Léonard alors que j’allais vite ramener une jeune musicienne à la maison entre la répétition des cadets et celle de La Concordia où j’allais diriger pour la première fois. Heureusement, tout le monde s’en est tiré indemne, à l’exception de ma première voiture raccourcie de quelques bons centimètres ce soir-là, voiture que j’avais achetée d’occasion à Michel Favre ! Pour la petite histoire, notre cadette n’a pas été trop perturbée par cet accident puisque qu’elle joue toujours dans le registre des flûtes de La Concordia.

La direction des cadets m’a laissé une multitude de beaux souvenirs : fêtes et rencontres cantonales de jeunes musiciens, hymnes lors d’un match international, inaugurations, St-Nicolas des cadets, sorties, kiosque à musique, concerts, we de répétition… Un de ces séminaires, d’ailleurs, avait été organisé dans la petite enclave fribourgeoise de N.-D. de Tour, sur la commune de Montagny. Des partielles le samedi, un souper et des jeux le soir, des grands cadets qui se promettent de faire nuit blanche… Déjeuner du dimanche matin… et répétition générale à 9h ! Malgré mes efforts pour rendre ce moment vivant et efficace, compte tenu des petits yeux et des baîllements de mes cadets, nous avons pu assister, dans l’hilarité générale, à une scène rare et assez singulière : un garçon s’était endormi, en plein milieu de la répétition, comme un nourrisson avec, en guise de lolette, sa clarinette restée plantée dans sa bouche grande ouverte. Je vous laisse le soin d’imaginer ce tableau des plus touchants.

Trois ans après la sortie du film « Titanic », La Concordia, emmenée par son comité d’alors, se lance dans une grande croisière en Méditerranée. Ce n’est pas l’Atlantique, ni la Mer du Nord, mais la Méditerranée, en octobre, ça bouge quand même un peu. Tant et si bien que le port de Savone était encore en vue et que nous avions à peine terminé l’essai des gilets de sauvetage sur le pont de l’Azur que les premières victimes du roulis et du tangage s’en allaient déjà rejoindre le bastingage ou leur cabine. Jamais chewing gum spéciaux, pastilles, gouttes et autres remèdes contre le mal de mer n’eurent autant de succès !
Ayant, pour ma part, grandi sur les bords de l’Arbogne, j’avais dans ce domaine un mince avantage sur Jean-Claude qui, lui, était particulièrement sensible aux mouvements de notre paquebot. C’est probablement durant ces deux semaines en mer que j’ai passé le plus de temps au pupitre de La Concordia (d’ailleurs, si vous regardez attentivement, il manque Jean-Claude sur cette photo prise lors de la soirée du commandant…). Et si j’entends encore résonner les accords d’Arnhem dans le canal de Corinthe avec une certaine émotion, c’est bien sur la terre ferme que Jean-Claude vous a emmenés sur les plus hautes marches du podium dans bien des concours, et récemment encore lors de la dernière fête fédérale à Montreux : bravo à toutes et à tous !
Une étape de la croisière nous avait conduits en Egypte où, après avoir pris un car à Alexandrie, on nous avait déposés au pied du sphinx et des pyramides pour une visite éclair. C’est là, sous les encouragements insistants de mes petits camarades, finalement, après de nombreux atermoiements et autres tergiversations (qui se révélèrent par ailleurs tout à fait fondés par la suite, vous le verrez)… c’est là que j’ai accepté de grimper à dos de chameau – ou de dromadaire (vous conviendrez qu’il est difficile de voir s’il y a une ou deux bosses, alors inutile de me demander si c’était un ou une !) pour qu’on puisse prendre la photo impressionnante que vous avez sous les yeux.
Ce qui ne se voit pas non plus sur le cliché, c’est ce qui s’est passé juste après… Le vrai chameau n’est pas toujours celui qu’on croit, aussi le personnage assis juste devant moi et auquel je semble m’agripper d’une manière assez crispée, a levé sa cravache et, dans un geste millénaire et néanmoins énergique, l’a abattue sur la fesse délicate de notre monture. Ce qui a eu pour effet immédiat de nous propulser, à une vitesse insoupçonnable, à l’arrière des pyramides. A cet endroit, si l’on pouvait bénéficier d’un point de vue tout à fait original et inhabituel sur le site historique, il n’y avait plus âme qui vive. Dans ce nomansland donc, mon hôte se met à brandir à nouveau son bâton… à ce moment précis, pour ne rien vous cacher, je me sentais davantage concerné que le postérieur du mammifère… Mon guide touristique, peut-être l’authentique descendant d’un des 40 voleurs d’Ali Baba, me réclamait 50 dollars pour me ramener à bon port…
Je m’en suis finalement sorti avec 10 Frs : ma colère légitime et surtout la relative maîtrise des taux de change de mon nouvel ami égyptien ayant eu raison de sa détermination.

Durant les cinq années que j’ai passées à La Concordia, on travaillait déjà dur, sous l’impulsion efficace et inspirée de Jean-Claude, à la recherche constante d’une pâte sonore idéale, du respect de la partition et du style… A ce propos, j’ai en mémoire une répétition où l’on jouait une œuvre basée sur un rythme brésilien, peut-être une samba… Un registre de gros instruments de cuivre (dont je tairai le nom pour préserver l’anonymat) peinait quelque peu à trouver ou à sentir le balancement latin propre à cette musique. Sans doute un peu lassé par cette interprétation légèrement pesante (il faut dire qu’on s’approchait de la fin de la répétition), Jean-Claude avait adressé au registre en question, la formule suivante, qui restera à jamais gravée dans ma mémoire : « Y a pas de plages en Bavière » !
Oui, on travaillait bien et après les répétitions, on développait encore l’esprit d’équipe chez Danièle, à la Croix fédérale (vin rouge et Mont d’Or à l’appui), ou encore au Marcello. Après cette première halte, non encore rassasiés, nous poursuivions régulièrement avec un café noir chez l’un ou l’autre musicien, souvent chez Marcel Jolliet, d’ailleurs.
J’avais improvisé un de ces cafés noirs dans mon petit appartement de l’époque, situé sous le toit d’une ancienne ferme rénovée à Montagny-la-Ville, après un concert que nous avions donné à Cousset. J’avais même été surpris par le succès rencontré par mon invitation spontanée. Du coup, on s’est retrouvés à plus de vingt dans mon modeste logis… Et l’ambiance fut si sympa que, le lendemain matin, j’ai pu distribuer le peu de bouteilles qui me restait à mes voisins afin de me faire pardonner l’animation nocturne dont ils avaient bénéficié bien malgré eux, le bâtiment s’étant révélé fort mal isolé phoniquement.

Voilà, je garde encore quelques anecdotes pour une prochaine fois… Merci de m’avoir prêté si gentiment votre attention !

Cher Olivier, chères musiciennes, chers musiciens, merci du fond du coeur pour l’invitation de ce soir : vous m’avez fait un bien grand honneur et surtout un immense plaisir en me conviant, avec Aurélie, mon Epouse, à cette soirée.
J’ai encore de nombreux remerciements à vous adresser pour tout ce que j’ai vécu de fort, d’unique et de merveilleux avec et grâce à votre société… mais je vais me limiter un peu, il y a déjà un bon moment que je parle :
Merci, Jean-Claude, pour la confiance témoignée, la liberté donnée et l’excellence des conseils offerts avec tant de bienveillance.
Merci, Luc, pour l’immense travail réalisé dans l’ombre, à La Concordia et ailleurs ; merci pour ton amitié indéfectible et si précieuse.

Que vive La Concordia !


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