Nicolas de Flüe s’évade de son passé

24 heures – Lundi 20 mars 2017

Homme de paix et de foi, sage vénéré de son vivant et des siècles durant, saint patron de la nation pour avoir sauvé la Suisse de la division par ses conseils avisés, Nicolas de Flüe (1417-1487) incarne aujourd’hui un autre aspect de sa personnalité, plus en vogue avec l’esprit du temps: il n’est plus tant une figure nationale que celui qui conteste la société de consommation, un père de l’écologie et pourquoi pas, à travers son régime strict à l’hostie, un ancêtre des véganes! La permanence de l’ermite obwaldien tient bonnement du miracle. Comme l’écrivait le théologien Georges Méautis, Nicolas représente le meilleur moi de la Suisse.

Si les 600 ans de sa naissance donnent lieu en Suisse alémanique à de nombreuses manifestations, la Suisse romande n’est pas totalement en reste, en particulier grâce à l’énergie fédératrice de Pascal Mayer. Le chef fribourgeois a proposé à quatre de ses chœurs de remonter la légende dramatique créée sur Nicolas de Flüe par Arthur Honegger sur un livret de Denis de Rougemont: les 200 chanteurs ont tous accepté avec enthousiasme. C’est ainsi que le Chœur Pro Arte de Lausanne, le Chœur de Chambre de l’Université de Fribourg, le Chœur du Collège Sainte-Croix de Fribourg et le Chœur Paroissial La Concorde de Grolley seront accompagnés par La Concordia, corps de musique de la Ville de Fribourg.

L’œuvre naît en 1938: c’est l’année des accords de Munich, l’Europe vit dans la hantise que la guerre reprenne. C’est dans ce contexte tendu que Denis de Rougemont reçoit du Canton de Neuchâtel la commande d’écrire un «Festspiel» sur Nicolas de Flüe pour l’Exposition nationale de Zurich en 1939. Il accepte à la condition qu’Arthur Honegger rédige la partition. «Honegger a tout de suite accepté, raconte le chef de chœur, et il a réussi à faire une œuvre pour des amateurs, à caractère populaire. Il n’y a rien de compliqué dans cette musique, mais ce n’est jamais plat ni banal. Il est ainsi le parfait trait d’union entre les cultures francophones et germanophones.» Pascal Mayer est toujours impressionné par la capacité de Honegger à livrer des œuvres différentes sur des symboles très forts: David, Jeanne d’Arc, Antigone…

La création n’aura pas lieu à la Landi en raison de la mobilisation, mais en octobre 1940 à Soleure, en l’absence de Honegger bloqué en France. «On y sent très bien le message pacifiste et cette pression des blocs politiques, poursuit Pascal Mayer. Il s’agit malgré tout d’une œuvre de circonstance. L’anniversaire de Nicolas de Flüe m’a paru une bonne occasion pour la faire. Il existe bien d’autres œuvres musicales autour de Nicolas, mais celle de Honegger est de loin la plus belle.»

A la question de savoir si ce type d’œuvre à mi-chemin du sacré et du théâtre touche encore aujourd’hui, le chef de chœur avoue n’avoir entendu aucune réserve de la part de ses choristes, y compris des jeunes collégiens. «Les textes ont vieilli mais ils ne sont pas du tout bondieusards, et meilleurs que ceux de Morax sur le roi David. C’est avant tout une action scénique. On est tous pris aux tripes par cette histoire.»

Pascal Mayer a aussi sorti un atout de taille en confiant à Eörs Kisfaludy le rôle du récitant. «Il a vraiment trouvé un style pour ces œuvres, entre le ton théâtral et le pastoral, et surtout en apprenant le texte par cœur. C’est lui qui tient l’œuvre!» Le côté un peu ermite du comédien d’origine hongroise, qui fut, dans sa jeunesse, amoureux d’une nonne, augmente encore la force de ses interventions.

Matthieu Chenal